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Passages

PASSAGE

Je traverse

Le monde

Comme si

Je traversais

Une autoroute :

Sans regarder

Je m’avance

Et les voitures s’arrêtent net

Et les chauffeurs

M’insultent

Et les klaxons

Gueulent

Et je passe.


MA JOURNEE

Le matin au réveil je respire :

je prends de l’air dans mes narines

j’inspire

je bloque et ensuite j’expulse

tout ce à quoi je ne donne pas de titre de séjour

dans mon être.

L’après-midi

je refais la même

opération

mais avec des idées.

Et le soir

j’applique

le même principe

aux hommes.

Pendant la nuit

tout se passe

comme si

la douane était fermée :

Il n’y a que les clandestins

qui passent encore dans mes rêves.


OUVERTURE

J’ouvre la fenêtre le matin et je regarde :

est-ce que le ciel est toujours là ?

j’ouvre mon frigo le matin et je regarde :

est-ce que j’ai encore du poisson pour mon chat ?

j’ouvre mon ordinateur le matin et je regarde :

est-ce que j’ai encore de la place pour mes amours ?

j’ouvre mes veines le matin et je regarde :

est-ce que j’ai encore assez de sang pour mourir ?

et ensuite toute la journée je m’ouvre toute entière à toi, Homme,

Et je regarde :

Est-ce que j’ai encore assez de moi Pour être ?...


MESURES

Je mesure ma taille tous les soirs

je mesure mon poids tous les matins

je mesure ma vie tous les anniversaires

je mesure mon amour à chaque réveil avec toi

et toi

tu me mesures : moi, ma taille, mon poids, ma vie, mon amour,

et ensuite tu les brades.

DEMANDES

mon chat me demande des caresses

ma mère me demande de l’appeler

mon amour me demande de l’argent

mes amies me demandent des conseils

mon père me demande un petit fils

mes amis me demandent des explications sur les femmes

ma conscience me demande de partir

ma vie me demande de mourir

mon âme me demande de vivre

mes idées me demandent de les dire

ma chance me demande de la saisir

et moi

je me demande de crier sur les toits

toutes les demandes possibles

d’un monde impossible

d’une vie invivable

d’un air irrespirable

et de respirer pour la première fois de ma vie

libre.


TOI

j’avais oublié jusqu’à ma langue avec toi

j’avais jeté jusqu’à ma vie avec toi

j’avais pleuré jusqu’à mes étoiles filantes avec toi

et puis j’avais senti jusqu’à ma matrice essentielle

que ce n’était pas toi.


ECOUTE !

j’écoute le vent et je n’entends pas la nuit

j’écoute la mer et je n’entends pas le passé

j’écoute ta voix et je n’entends rien.

et je suis heureuse d’être sourde à tel point !

SI

si tu regardes sans regret une fourmi

tu peux vivre

si tu écoutes sans peine un corbeau le matin

tu peux vivre

si tu sens l’odeur des tilleuls sans nausée les soirs d’été

tu peux vivre

mais si tu touches

sans le sentir

le contour de tes souvenirs

tu peux mourir.

EXPULSION

j’expulse des mots

je crache les paroles qui me squattent

je mets dans des charters les sons qui m’habitent

et je les renvoie dans le néant

j’explose mes idées

je dynamite mes phrases

je noie mes rêves

et je vis, tout simplement.

L’A-PEU-PRES

Il y avait comme un sentiment d’absence

de manque

de dor

il y avait comme le doute

d’un amour

d’une tristesse

d’une joie fugitive

il y avait comme le désir

d’un déjà vu

d’un souvenir

d’un présent impossible

et puis

il y avait une main d’or

caressant un corps doré

bruni

par le soleil

salé

par la mer

adouci

par la brise

et le cri du silence, du plaisir, et du sable.


SORTIE

les mots sortaient d’elle comme s’ils ne voulaient plus d’elle

les sons la quittaient un par un comme s’ils en avaient assez de l’habiter

les lettres se réfugiaient sur la page blanche comme si elles étaient à la recherche d’un refuge

le verbe avait peur d’elle et il la fuyait

et

elle se quittait elle-même

quittait son monde

et poursuivait désespérément ses mots, ses sons, ses lettres, son unique réalité vivable.

IVRE

elle était ivre ivre de ses paroles

ivre de ses idées

ivre de ses sens

à fleur de peau

elle sentait du bout de ses doigts

le verbe qui se lovait en elle comme un superbe serpent

elle était ivre ivre de ses couleurs

ivre de ses couchers de soleils sans cigales

ivre de sa vie

ivre de sa mort

ivre d’exister

nada mas…


CORPS

Je sens jaillir de mes veines les mots.

Tous mes pores respirent vomissent des mots.

Mes jambes crachent des mots comme si c’était du sang.

Les bouts de mes doigts se souviennent de tes mots de mes mots comme des caresses qui blessent.

Il pleut des mots dans ma chambre dans ma vie, dans mon cœur

et je pleure des gouttes de pluie, de mots, de vie sans remords.


LE PALMIER

le palmier de lumière avait poussé en elle

elle ne savait pas comment la petite graine

la petite semence de rien du tout était arrivée

jusque dans son ventre

jusque dans son cœur

jusque dans son sang

jusque dans sa moelle

elle ne l’avait pas sentie prendre sa place

s’installer et commencer à faire son nid

à prendre – ou reprendre ? – racines

maintenant le tronc était déjà solide

beau

haut

eau

ô !

et les branches rigolaient

quand elles la voyaient faire les soldes !

les feuilles aiguës comme des mezzo-sopranos

s’élançaient culottées

« tu m’cherches ? »

« je cherche le nord »

dor…

le palmier de lumière était maintenant grand

et sa joie explosait dans ses sens

dans ses cellules

dans ses pores

le vert de sa couronne morte de rire - ébouriffée coiffure salée comme les vagues-

l’enlevait à son monde et lui provoquait des crises de rire

palmier de lumière

palmier de colère

réduisant en poussière la croix et la bannière

palmier amer

palmier de la mer

palmier de ma mère

palmier de prière !


VIE

explosion

érosion d’amour, de haine, de vie, de pluie

qu’est-ce que tu cherches ?

qu’est-ce que tu sens ?

et je me perds et je me retrouve

et je me dissous

musique de ma vie, de ta vie, des étoiles,

mer, désert amer, hier

et encore aujourd’hui

pour la vie

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